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Chroniques
Bernard Girard
Entretiens avec Éliane Radigue
En avril 1971, au New York Cultural Center, sur Columbus Circle, Morton Feldman se produisait au piano, tandis que Maro Ajemian, deux jours plus tard, jouait Sonates et interludes sur un instrument préparé par John Cage. Entre ces deux concerts, le 6 avril, Éliane Radigue faisait entendre Chry-ptus, durant ce qu’elle considère être son premier vrai concert. Qui est donc cette musicienne française née en 1932, si peu connue du grand public et même des spécialistes, qui recherche la vibration intérieure à l’instar du peintre Rothko ? Grâce à Bernard Girard, philosophe et spécialiste de l’avant-garde qui s’est entretenu récemment avec Tom Johnson [lire notre critique de l’ouvrage], nous en saurons plus.
Fille de petits commerçants, Éliane Radigue découvre la musique grâce à la radio, puis de façon active (piano, chant, harpe). Elle confie : « j’avais beau m’accrocher, je n’avais pas ce qu’il fallait pour être une bonne interprète, ce que je regrette. Par contre, je me suis tout de suite intéressée à la théorie musicale, à la manière dont les choses sont faites. […] J’ai toujours été fascinée par les transitions, par ces quelques mesures, parfois plus, où l’on quitte une tonalité avant de retomber dans une autre ». Vivant alors à Nice, elle y épouse le sculpteur Arman mais revient régulièrement à Paris où Pierre Schaeffer la rencontre, en 1955. Puisqu’elle tente alors d’écrire, elle saisit l’opportunité de devenir stagiaire auprès du pionnier de la musique concrète, jusqu’à la brouille de ce dernier avec Pierre Henry.
Elle s’éloigne de ce milieu pour élever ses enfants, jusqu’à l’été 1967 où elle assiste désormais le créateur de Variations pour une porte et un soupir et poursuit son exploration sonore (boucle, larsen, feedback, etc.). « J’ai tout de suite compris en travaillant mes premiers sons sauvages, explique-t-elle, qu’il fallait arrêter de penser en termes traditionnels de hauteurs, de rapports de quart ou de tiers de ton, mais qu’il fallait prendre les sons tels que j’arrivais à les faire et tels qu’ils me parlaient […] ». Accompagnant tout d’abord des expositions, sa musique donne lieu à des concerts à part entière, et à des collaborations durant ces dernières années – avec les clarinettistes Carol Robinson et Bruno Martinez, le bassiste Kasper Toeplitz, etc.
De celle qui préfère le son aux notes, bouleverse notre sens du temps et invite à l’écoute de nuances ignorées d’ordinaire (« l’inframince » cité par Duchamp), l’auteur dessine lentement le portait, l’amenant à parler technique (premier synthétiseur ARP rapporté de New York), inspiration (« dans la musique classique, j’ai toujours eu une grande passion pour les mouvements lents, toute ma discographie intérieure en est faite […] ») et spiritualité (bouddhisme). Ces pages se concluent par quelques témoignages, dont celui de Robinson qui contient cet hommage étonnant : « c’est presque comme si la musique naissait de ce que l’on ne joue pas, à partir de ce que l’on joue réellement ».
LB